Le monarque de Thaïlande, Rama X, a choqué le monde entier en se confinant loin de son peuple, au milieu de ses maîtresses, en Allemagne. Mégalomane, excentrique, il semble n’avoir peur de rien.

Un soutien-gorge de sport, des tatouages, un jean taille basse et des baskets. Dans ce grand magasin de meubles de la banlieue de Munich ce 25 avril 2017, alors qu’il fait à peine 10 degrés dehors, les Allemands qui croisent ce sexagénaire asiatique à l’allure branchée et débonnaire n’imaginent pas qu’ils font face au roi de Thaïlande, Rama X, en train d’acheter des tasses à café, des sous-verres et une poêle à frire. Mais la photo de ce playboy excentrique fait vite le tour du monde, les ricanements aussi, alors que l’héritier doit prendre la succession de son père, le roi Bhumibol, mort en 2016. Un couronnement qui attendra trois ans. Une autre fois, Maha Vajiralongkorn – son nom complet compte 70 mots ! – est filmé en slip de sport, à vélo sur les routes bavaroises. Le plus naturellement du monde… Jusqu’à ce qu’il s’arrête dans une auberge de montagne pour déguster un chocolat chaud, apporté par un membre de sa garde personnelle qui est obligé de se traîner à genoux devant le monarque. Les clients allemands sont stupéfaits. Rassasié, le devaraj (dieu) repart avec sa compagne dans une Porsche bleue en direction de sa villa de 1400 mètres carrés achetée 10 millions d’euros, sur les rives du lac de Starnberg. Depuis, le quotidien allemand Bild, qui relate toutes ses frasques, a pris l’habitude de le surnommer le « roi sans ventre » – il montre sans cesse ses abdos et son nombril – ou « la reine du shopping », tant il aime déambuler, cornet de glace à la main, dans les grands centres commerciaux de Bavière.

Une passion pour l’Allemagne

Pourquoi la Bavière ? “Il a commencé à passer beaucoup de temps en Allemagne en 2007“, nous explique le journaliste écossais Andrew MacGregor Marshall, auteur d’un livre sur la monarchie thaïlandaise. «Il en avait assez de sa troisième femme qui vivait à Bangkok et voulait être avec sa maîtresse Suthida, de vingt-cinq ans sa cadette, qui est maintenant la reine. » Mais le scénario s’est reproduit… Rama X s’est lassé de la reine, qu’il a épousée avant son couronnement en mai 2019, et celle-ci a déménagé de l’autre côté de la frontière, en Suisse. «Leur accord, poursuit-il, semble être que Suthida vit dans un hôtel en Suisse et accepte que Rama X reste en Allemagne avec son harem. Ils se retrouvent pour rentrer en Thaïlande, montrant ainsi qu’ils sont toujours ensemble. »
Ces derniers mois, l’hôte de marque est pourtant devenu un invité bien encombrant pour l’Allemagne.

Jamais sans sa cour

En pleine épidémie de coronavirus, à 9000 kilomètres de ses sujets, Rama X s’est installé au Grand Hotel Sonnenbichl, un palace de la célèbre station de ski de Garmisch-Partenkirchen, réputé pour « sa vue à couper le souffle sur les Alpes bavaroises. » Pour rester ouvert malgré la crise sanitaire, l’établissement a reçu une autorisation exceptionnelle, le roi et sa cour formant « un groupe unique et homogène de personnes sans aucune fluctuation ». Plus d’une centaine de personnes entourent habituellement le souverain, dont une vingtaine de jeunes Thaïlandaises, dévouées corps et âme au monarque et toutes rebaptisées du même nom de famille, Sirivajirabhakdi. Certaines d’entre elles seraient droguées et placées à la merci de Rama X, dans une pièce baptisée « la salle des plaisirs », raconte le journaliste Andrew MacGregor Marshall. Avec interdiction de communiquer : selon lui, « le personnel royal risque la torture et l’emprisonnement, ou pire, s’il est soupçonné de divulguer des informations.» Cela n’a pas empêché les internautes thaïlandais de se mobiliser comme rarement sur Twitter avec le mot d’ordre « Pourquoi avons-nous besoin d’un roi ? »

Le roi de l’extravagance

Loin de faire profil bas, le souverain a profité du confinement pour survoler l’Allemagne aux manettes de son Boeing 737-800 vide. Dresde, Hanovre, Leipzig… Rama X a ainsi vu du pays et frôlé la frontière française, sans autre but que la recherche d’adrénaline. Profitant des aéroports désertés, ce pilote de chasse émérite s’est essayé au touch and go – le posé-décollé –, pratique dangereuse qui consiste à remettre les gaz d’un avion et à redécoller dans les secondes qui suivent l’atterrissage.
Le 7 avril dernier, alors que tous les vols internationaux étaient théoriquement suspendus, Rama X est rentré au pays, passant 19 heures et 48 minutes en Thaïlande aux côtés de ses compatriotes, pour fêter, avec la reine, l’établissement de la dynastie des Chakri, dont il est issu. Troquant son crop top pour un uniforme impeccable, oubliant les gestes barrières, il a participé à plusieurs cérémonies et passé en revue les troupes. Avant de repartir, il a pris la pose, participant à la confection de masques ou de sacs de secours destinés aux plus démunis. Des photos de propagande publiées après son départ pour montrer à quel point il veille sur ses sujets… Signe de la mégalomanie du roi : pour le premier anniversaire de son mariage avec Suthida, le 1er mai, il a voulu offrir à cette ancienne hôtesse de l’air le Boeing 737-400 de la Thai Airways dans lequel leurs chemins se sont croisés en 2007. Qu’à cela ne tienne : la compagnie nationale thaïlandaise a tout simplement livré l’appareil dans les jardins du palais royal à Bangkok, où il stationne désormais… Ou plutôt, un Boeing identique a probablement été repeint avec le numéro d’immatriculation de l’avion de leur rencontre. L’appareil original a disparu des radars. Le tout aux frais du contribuable et de la compagnie aérienne, actuellement en grande difficulté.

Le crime de lèse-majesté est puni de quinze ans

Tant de provocations ont fini par lasser l’Allemagne où une campagne de protestation a été lancée, à l’initiative de l’ONG PixelHelper. « Nous ne pouvons pas permettre à un monarque ayant une longue histoire de comportement abusif de bénéficier de la liberté en Allemagne tout en volant son propre pays », argumente-t-elle. Et de passer à l’attaque le 6 mai en diffusant des messages lumineux en pleine nuit sur son hôtel bavarois: « Pourquoi la Thaïlande a-t-elle besoin d’un roi qui vit en Allemagne ? », « La capitale thaïlandaise n’est plus Bangkok, c’est Munich ! », autant de slogans qui auraient rendu le roi, peu habitué à la contestation, « incandescent de rage ». En Thaïlande, le crime de lèse-majesté est puni de quinze ans de prison, y compris lorsqu’on s’attaque au chien adoré du roi ! Les opposants politiques sont régulièrement chassés et certains disparaissent du jour au lendemain, probablement enfermés dans les prisons royales. «Le roi est son propre bouffon», titre méchamment la presse allemande. Mais il ne fait plus rire personne… Le ministre des Affaires étrangères allemand Heiko Maas, lui, a mis le roi en garde en octobre dernier. « Nous surveillons cela sur le long terme », affirmant ensuite qu’il y aurait « des conséquences immédiates s’il y a des choses que nous estimons illégales ». Le monarque est prévenu.

Campagne de séduction

En Thaïlande, mouvements de protestation et manifestations pro-démocratiques s’enchaînent, obligeant dernièrement le Maha Vajiralongkorn et la reine Suthida à rentrer au pays. Le roi a entamé une campagne de séduction auprès de la jeunesse et se laisse même aller à quelques confidences saugrenues. «Je suis comme tous les autres êtres humains. Certains jours, je me sens découragé. Certains jours, je me sens triste. Certains jours, je ne veux presque pas combattre les mauvaises choses. Mais c’est toute la nature humaine… » Et cette année, pour la première fois, le monarque a prononcé son discours de Nouvel An depuis le sol thaïlandais et non depuis l’Allemagne. « Mon fils est un peu un don Juan », avait excusé sa mère, la reine Sirikit, dans une interview prémonitoire en 1981. « Les femmes le trouvent intéressant et il trouve les femmes encore plus intéressantes. Sa vie de famille n’est donc pas si facile ». « Il ne donne pas assez de temps à son peuple », avait-elle reconnu, alors qu’il n’était que prince héritier. Désormais roi, Rama X est face à un défi de taille : ancrer la monarchie thaïlandaise dans la modernité, à l’heure de la mondialisation et des réseaux sociaux, et accepter que la liberté qu’il recherche en Allemagne bénéficie aussi à sa population. « Tout bon Thaïlandais doit sacrifier sa vie pour protéger la monarchie », enseignent les manuels scolaires du royaume. Encore faut-il que ses sujets considèrent que l’inverse est vrai.

Crédits photos : Backgrid USA / Bestimage

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