Le 29 mars 2022, un mois après le début de la guerre en Ukraine, Decathlon avait annoncé la fin de ses activités en Russie, à l’instar d’autres marques occidentales, et sous la pression internationale qui s’était alors accentuée sur le géant français du sport. Sauf que selon une enquête du média d’investigation Disclose, mise en ligne mardi 19 décembre, la multinationale française, propriété de la famille Mulliez, “continue d’alimenter le marché russe en produits siglés de ses marques phares : Quechua, Wedze et Kalenji”. 

Cette enquête, qui s’appuie sur des documents internes à l’entreprise, des vidéos en sources ouvertes et les témoignages d’anciens salariés, révèle que “Decathlon a mis en place un vaste système de dissimulation de ses exportations dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement signé avec Desport [un repreneur local] pour un montant d’au moins 12 millions de dollars”

Pour fournir ses marchandises sans être repérée, l’entreprise sportive détourne “certains produits initialement destinés aux magasins européens” et s’appuie sur une filiale de la marque, domiciliée à Singapour, qui envoie des cargaisons en provenance du Bangladesh à Dubaï, par avion. A l’arrivée, une entreprise “qui a tout d’une société-écran” réceptionne les marchandises et les renvoie vers Moscou. “Des dizaines de milliers de produits sont concernés”, selon Disclose, comme des vestes de jogging Kalenji, des vestes de ski Wedze ou encore des pantalons et chaussures Quechua. 

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“On est à tout le moins dans une zone grise” 

Au total, “l’équivalent de huit conteneurs de grande taille” sont arrivés début novembre en Russie, depuis le Bangladesh. Des données logistiques du groupe, consultées par Disclose, montrent que des livraisons ont également été acheminées depuis le Vietnam et la Chine, vers les magasins Desport, en Russie. Decathlon fait fabriquer l’essentiel de ses produits dans ces trois pays asiatiques. 

Le média en ligne a interrogé un expert français de la conformité des entreprises pour savoir si ces livraisons sont légales. “On est à tout le moins dans une zone grise”, constate-t-il, observant que “la complexification des chaînes d’approvisionnement, entre Singapour et Dubaï, pourrait s’apparenter à du contournement de sanctions”.

Sans se prononcer spécifiquement sur Decathlon, Kevin Lefebvre, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales, analyse quant à lui pour Disclose que “86% des produits textiles exportés par la France vers la Russie avant la guerre en Ukraine n’auraient pas pu sortir du pays aujourd’hui en raison des sanctions de l’Union européenne”. Contacté, le directeur général délégué de Decathlon, Jean-Marc Lemière, n’a pas souhaité répondre aux questions des journalistes.