A l’occasion de la diffusion ce soir de “L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot” sur Arte, gros plan sur le tournage chaotique d’un film invisible signé d’un des plus grands cinéastes français.

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot de Serge Bromberg, Ruxandra Medrea
Avec Romy Schneider, Serge Reggiani, Bérénice Bejo

De quoi ça parle ?

En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L’Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un “événement” cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l’on disait “incroyables” ne seront jamais dévoilées. Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l’avait prédit. Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l’histoire d’un tournage maudit et celle d’Henri-Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n’a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n’aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu’il a inventé. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une “recomposition” de l’oeuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l’histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d’exister enfin.

Redonner vie à un film 

PDG de Lobster Films, producteur, directeur artistique, Serge Bromberg est également spécialisé dans la redécouverte et la restauration de films, notamment via ses ciné-spectacles Retour de flamme. Avec Ruxandra Medrea, il se lance dans une reconstitution de ce qu’aurait pu être L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot. Avec ce film, le réalisateur des Diaboliques souhaitait raconter l’histoire d’un homme, Marcel Prieur, patron d’un modeste hôtel de province, saisi par le démon de la jalousie. Au début du film, Marcel, un rasoir à la main, devant le corps allongé d’Odette, essaie de se souvenir comment il en est arrivé là. Sa jolie femme, Odette l’a-t-elle odieusement, scandaleusement, trompé ? Et avec qui ? 

Un réalisateur en proie au doute au service d’un projet audacieux 

Quand Henri-Georges Clouzot se lance en 1964 dans L’Enfer, il traverse une période trouble, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. 4 ans se sont écoulés depuis son précédent long-métrage, La Vérité avec Brigitte Bardot. Critiqué par Les Cahiers du Cinéma, il appartient à une génération de cinéastes balayée par la Nouvelle Vague. 4 ans se sont également écoulés depuis la mort de sa première femme, Véra, qui l’a plongé dans une profonde dépression. L’Enfer apparaît comme un projet bienvenu qui suscite l’intérêt autour de lui, d’autant plus que le film est cofinancé par Columbia.

Le projet commence sous les meilleurs auspices puisque le studio américain, impressionné par les premiers essais de Clouzot, lui donne carte blanche pour le budget et la direction artistique. Le cinéaste souhaite se renouveler tout en étant fidèle à sa manière de travailler, à savoir être le plus précis et le plus préparé possible lors du tournage. Pour cela, il fait appel à l’artiste plasticien Jean-Pierre Vasarely dit Yvaral, connu pour ses oeuvres cinétiques, contenant des parties en mouvement. Clouzot souhaite intégrer cette esthétique à son cinéma. Il s’entoure également de Gilbert Army, un chef d’orchestre qu’il charge de créer un univers sonore unique.

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Les rats quittent le navire

Mais cette liberté a un prix. Si le scénario est minutieusement préparé, le réalisateur commence à être dépassé par sa quête artistique. Avec un temps de tournage très limité, il n’a pas le droit à l’erreur. Entouré de trois caméramans disposant chacun d’une équipe complète de techniciens, Clouzot multiplie les prises au gré de ses idées et de ses envies. Le rythme effrené des journées (qui durent 16h) finit même par faire littéralement fuir l’un des cadreurs qui s’échappe par la fenêtre d’une salle de bain !

Ce n’est pas mieux de l’autre côté de la caméra : après avoir drogué Brigitte Bardot avec des somnifères sur le tournage de La Vérité, le cinéaste pousse son duo d’acteurs à bout et provoque dispute sur dispute. Reggiani et Clouzot ne sont pas d’accord sur la manière d’interpréter le rôle de Marcel. L’acteur, épuisé physiquement et émotionnellement, finit par disparaître du plateau après plusieurs jours de tournage passés uniquement à courir devant la caméra. Officiellement, le comédien est malade. Il est remplacé par Jean-Louis Trintignant qui… abandonne le tournage au bout de deux jours. 

Cet Enfer que vous ne verrez jamais

Clouzot refuse de laisser tomber la production alors qu’il ne lui reste plus qu’une semaine pour boucler son tournage avant que le décor ne soit plus disponible. C’est finalement son corps qui le stoppera : lors de la mise en boîte d’une scène lesbienne entre Romy Schneider et Dany Carrel, Clouzot fait une crise cardiaque. Incapable de reprendre le travail, la Columbia met un terme au projet. 

En 1994, Claude Chabrol réalise sa version de L’Enfer avec Emmanuelle Béart et François Cluzet mais il faudra attendre 2009 et le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea pour découvrir ce qui se rapproche le plus de la vision d’Henri-Georges Clouzot grâce aux 185 pellicules que possédait sa veuve. 

La bande-annonce de L’Enfer de Claude Chabrol :

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L'Enfer Bande-annonce VF